EN ROUTE POUR LES MARQUISES
Le 06/08
Nous arrivons à la passe au lever du jour au moment de l'étale,
une sortie tout en douceur...
Nous laissons derrière nous les eaux turquoises du lagon qui
commencent à s'éclairer, et retrouvons le bleu outre mer du large.
Le vent du Sud nous amène une bouffe de fraîcheur et je dois même
mettre un sweat ce matin ! Nous hissons les voiles et pouvons
mettre le régulateur d'allure au 90°. Nous sommes au travers, peu
de houle, vent quelque peu asthmatique...
Nous longeons Raraka, mais pas d'arrêt...
La couverture nuageuse nous précède, nous restons dans son
sillage, bénéficiant ainsi du vent qu'elle crée et de son
orientation providentielle. De temps à autre, de francs rayons
transpercent les cumulus, le paysage retrouve des teintes plus
réjouissantes. Le bateau s'anime de bruits habituels propre aux
navigations : claquements de voiles, grincement, couinements,
clapotis de l'eau sur la coque... Mais le silence des profondeurs et
celle de l'immensité viennent envelopper et atténuer ces bruits.
Dans le cockpit ou sur le pont, on s'imprègne de cette atmosphère
marine, de ses odeurs salines, laissant vagabonder nos esprits sur
les contours arrondis de cette surface infinie.
En fin de journée, les oiseaux tournoient non loin de notre
embarcation, laissant présager un banc de poissons... Effectivement,
quelques instants plus tard, nos lignes s'agitent. Nous relevons
notre première prise : un thon bien joufflu de 7kg, dont les
mains expertes de mon pêcheur se chargent de le tuer et de le
saigner. Sur l'autre ligne : le copain, mais encore plus
balaise ; celui là, est décroché avec soin et libéré. Nous
ne savons pas si nous arriverons à tout manger tellement les filets
sont imposants. Cette chaire rouge et chaude a une odeur forte et
tenace. Il faut dire que nous en avons tellement pêché et mangé
durant nos longues traversées, qu'à présent on en est un peu
écoeuré.
Mais comme côté frais nous n'avons plus rien à nous mettre sous
la dent, on s'en contente...
Distance parcourue ce premier jour : 112 miles
Le 07/08 2eme j
Le vent toussote, crachote, s'essouffle durant la nuit ; nous
mettons le moteur. Son bruit assourdissant, étonnement, nous aide à
mieux dormir. Le ronflement régulier est si fort qu'il couvre tous
les autres bruits du bateau, aussi nos têtes calées contre la
paroi vibrante trouvent elles un peu de repos. Cette nuit, nous avons
pu nous faire chacun notre tour, une tranche de 3 heures de sommeil,
ce qui est bien ! Les quarts se font dans un noir absolu, pas
une lumières, pas une étoile. Nous naviguons tels des aveugles,
avec comme seuls repères pour tracer notre route, des petits cadrans
lumineux où s'affichent des chiffres. J'ai parfois le sentiment
d'être seule au monde, enveloppée dans le noir manteau de la voûte
céleste, cela me donne la chaire de poule...
Au lever du jour, la grisouille enveloppe à nouveau notre
univers, Nous suivons toujours la zone nuageuse. Qui produit le vent
en notre faveur, il a repris un peu du poil de la bête mais demeure
quelque peu inconstant. Les voiles nous propulsent toujours plus au
Nord Est.
Distance parcourue ce 2eme j : 120 miles
Le 08/08 3eme j :
Cette nuit le vent forcit et des grains s'enchaînent, nous
obligeant à rester dans le cockpit pour contrer la puissance des
rafales sur le régulateur d'allure. Le vent tourne davantage au Sud
Est, nous sommes travers- bon plein, les vagues peuvent ainsi nous
montrer ce qu'elles ont dans le ventre en cognant sur la coque.
Trouver un bon calage pour dormir, s'avère mission impossible. Le
cerveau de toute façon reste en activité de surveillance, s'il
s'assoupit quelques secondes, les impacts se chargent de lui mettre
une décharge de réveil.
Au matin, les grains nous lâchent. Nous retrouvons un vent plus
régulier et le soleil vient lécher nos têtes endormies. Un petit
thon s'accroche à la ligne, mais nous le remettons à l'eau, en
espérant qu'une Coryphène vienne nous rendre visite...
Notre téléphone irridium assurant la prise météo, est hors
service depuis l'année dernière. Du coup Marco tente chaque jour de
s'informer sur les prévisions avec sa petite radio sur Polynésie
Première. Il tourne dans tout l'espace du bateau et à l'extérieur
pour tenter de capter les ondes. L'oreille collée au poste, il
reçoit parfaitement les grésillements et les bruits parasites, mais
un peu moins la voix. Parfois les mots magiques arrivent par cette
boîte avec toujours le même refrain depuis que nous l'allumons :
« Vent de secteur Est 17 à 21 nœuds, rafale à 30 nd. »
En fait, on se demande pourquoi nous écoutons cette météo locale
qui invariablement annonce toujours la même chose ! On peut pas
dire que côté météo, ils soient à la pointe ici ! Mon
frère Robin de France, nous donne de biens plus fiables prévisions
par texto ( lorsque nous pouvons avoir une connexion téléphonique).
Nous savons qu'en s'approchant des Marquises nous aurons droit à
des alizés musclés d'Est. C'est pourquoi nous remontons vers les
îles du Désappointement, afin de conserver un bon angle pour les
derniers jours.
Le manque de sommeil nous colle aux basques, mais nous n'arrivons
pas à dormir. On connait cet état propre aux traversées et c'est
certainement ce qui nous rebute un peu.
En fin de journée le vent prend des tours et vire davantage à
l'Est, nous obligeant à réduire rapidement toutes les voilures.
Nous prenons 2 ris à la grand voile, mettons le tourmentin. Une
grosse mer se forme, certaines crêtes déferlent, le ciel
s'assombrit et les rafales s'intensifient.
Un service de douche efficace se voit assuré à l'extérieur, et
à l'intérieur la station debout se voit proscrite. Des objets bien
identifiés volent dans l'habitacle, les placards s'ouvrent, se
déversent.
Le 09 /08 4eme j
Cette nuit, nous sommes au près, voile réduite au maximum afin
de ne pas avoir à trop sortir pour assister le régulateur. Ni
Marco, ni moi, n'apprécions les douches nocturnes et nous ne tenons
pas à nous faire pousser par une vague dans le chaudron noir
bouillonnant. Le shaker est en route : nos pauvres corps se font
bien secouer : l'appétit se réduit, tout comme les
déplacements, le sommeil, le temps de parole, également.... Chacun
reste dans son coin silencieux, calé comme on peut dans nos cabines,
attendant que cela passe. Nous expérimentons allongés la pression,
l'apesanteur, la lévitation, la force centrifuge, la compression, le
balancement sous toutes ses formes... Les courbatures apparaissent au
niveau du cou, des épaules, hanches... juste pour maintenir la
position horizontale !!!
En fait, nous sommes en train de traverser la zone de convergence
que nous suivions. Grâce à elle nous avons pu bénéficier de vent
porteurs durant ces 3 derniers jours, à présent, nous en subissons
ces méfaits. C'est la rançon !
Le 10/08 5eme j
Vent, rafale, pluie, houle se déchaînent. Cette nuit, il nous
faut éponger les cales remplies d'eau de mer s'infiltrant par les
coffres. Durant mon quart, le bateau empanne d'une façon soudaine.
Dans le cockpit on s'agite pour redresser au plus vite la situation.
Le pilote à vent a perdu la boule et tente à nouveau de nous
refaire le même coup. Nous devons le relever et constatons qu'il y a
un problème à la pale dans l'eau. L'intervention nocturne est trop
risquée avec le violent tangage, les vagues qui passent par dessus
bord, on verra ça demain, en attendant on branche notre petit pilote
à bras.
On est épuisé, je finis par tomber quelques petites heures dans
un sommeil agité.
Au matin, le décor n'est guère plus réjouissant que la veille :
Une grosse mer grise, noire, reflète le ciel. Son mouvement ne nous
permet plus de rester en position debout.
Marco met son harnais pour aller réparer le pilote dont les vis
se sont desserrées. Au passage, il remet une ligne de traîne et se
prend un seau d'eau en pleine gueule. Ce qui me fait rire, mais lui
un peu moins.
« Putain c'est bon, là j'en ai marre, je me demande
vraiment qu'est ce qu'on fout là. Non mais, tu vois pas l'enfer !
On ne dort plus, on peut même pas se tenir debout ou sortir... Je me
demande quel plaisir on peut à avoir à naviguer ? »
On regagne nos cabines avec une certaine morosité pour de petits
roupillons de 10 à 15 minutes. Dans l'après midi, j'entends un
hurlement couvrant le barouf, je sors. C'est là que je me rends
soudain compte de ce qu'inclinaison veut dire ! Marco a les deux
mains sur la barre, debout en appuis sur le siège du bas, prêt à
plonger en avant, le rail de Fargue dans l'eau, le bateau couché. Il
n'arrive plus à le redresser tant la pression sur la barre est
importante : la rafale de 35 nœuds, ne l'aide guère !
Il faut affaler une voile, le plus rapide c'est de tomber le
tourmentin ! Je prends la barre tirant de toutes mes forces,
pendant que Marco gagne l'avant se cramponnant à ce qu'il peut.
Une fois la voile affalée, ça va un peu mieux. Mais le vent
continue d'hurler, l'océan répand sa rage noire et se déchaîne
sur la surface de l'eau. C'est effrayant !
Le 11/08
Notre optimisme, voudrait que cette nuit soit plus clémente, mais
elle est encore pire. Bien que nous ne sommes pas au cœur d'une
tempête, loin de là, nous avons l'impression d'en vivre une, tant
la mer est dégueulasse et traître. Les vagues passent par dessus
bord et se répandent copieusement dans nos coffres, par les moindres
interstices, inondant les cales du bateau et même la cabine avant. (
je ne parle pas de mon lit aussi) Toutes les demi heures, il nous
faut écoper. Chaque sortie à
l'extérieur se solde par un seau d'eau en pleine poire. Le roulis
a pris une intensité indescriptible, un cauchemar. Les grains
s'enchaînent, le vent et les rafales ne faiblissent point.
Toutes manœuvres de voile sur le pont : hisser et affaler la
grand voile, par exemple, sont redoutées... Avant de sortir on
s'attache à la longe, on se répète la manœuvre à effectuer et
courageusement on va se faire mouiller et rouster.
Aucun répi ne nous sera accordé jusqu'à fin. Nous avons un
drôle de teint verdâtre. Marco me dit que l'on dirait que je viens
de me prendre deux gnons dans les yeux, s'il voyait sa tronche, il ne
la ramènerait pas...
Transperçant l'aube et les nuages, notre vue s'arrête enfin sur
une île au relief surprenant. Fatu Hiva se rapproche, pour le moment
tout paraît austère, avec ces teintes sombres autours de nous. Deux
dauphins viennent cependant, nous faire un joyeux accueil.
Nous hésitons entre deux mouillages, un plus abrité du vent,
mais avec de la houle : Omoa, ou un sans houles mais avec de
bonnes rafales : celui de la baie des Vierges. Ce dernier est
mythique, tout navigateur arrivant de la trans-pacifique s'y arrête.
On dit que c'est un des plus beaux mouillages au monde côté décor.
On opte pour celui-ci. A cette période de l'année le flot de
bateaux est partit vers d'autres rivages, étant à contre courant de
ce flux, nous devrions trouver aisément une place au mouillage.
Lorsque nous découvrons cette petite baie nous sommes éblouis !
De hautes montagnes vertes l'encerclent, des pitons, des roches aux
formes surprenantes, des cocotiers, des vallées étroites
verdoyantes : un véritable décor de cinéma. L'eau est lisse,
malgré les bonnes rafales qui descendent des hauteurs, que de
contrastes en quelques minutes. Deux autres bateaux sont là, nous
arrivons aisément à trouver notre place au premier rang. Marco doit
plonger toutefois plonger pour positionner l'ancre dans le sable.
Epuisé, il trouve quand même le force de déplacer l'ancre sous
l'eau en marchant par 10 mètres de profondeur ! Il ne cesse de
m'épater mon ptit gars...
Malgré notre fatigue et cette navigation bien difficile, nous
sommes soulagés et heureux d'avoir atteint les rivages de notre rêve
Polynésien, celui des Marquises !!!
La baie des Vierges était autrefois nommée la baie des Verges,
nos missionnaires se sont empressés de rajouter un i, pour détourner
l'esprit trop évocateur de ce mot. Mais ce i n'enlève en rien
l'insolence et la majesté de ces gros pitons dressés. Le petit
village niché au bas de parois verticales accueille 500 habitants.
Les petites maisonnettes sont fleuries entourées de végétation
dense et d'arbres fruitiers : citronniers, orangers, papayers,
pamplemoussiers, manguiers... Mais hélas, ici on ne trouve pas de
légumes, personne ne cultive. L'abondance de fruits semble suffire
aux besoins.
Nos premiers pas à terre ressemblent à ceux que l'on pourrait
faire sur la lune : nous avons du mal à marcher droit, tout
tangue, les odeurs nous assaillent avec intensité, les couleurs se
plaquent sur notre cerveau créant des troubles de la vision... Une
sorte d'ivresse se distille au plus profond de nous, le terrien
retrouve ses repères et la joie l'envahie.
Pour s'imprégner davantage de la terre, nous rejoignons le
lendemain, une cascade dans les montagnes pour y prendre un bain. Un
véritable bain de jouvence, de fraîcheur où finissent de se
dissoudre les dernières trace de cette traversée difficile.
On dit que plus on descend bas, on monte haut ! Là, cela se
vérifie. Notre état de bien être atteint son paroxysme.
Nous ne tardons pas à faire la connaissance des autres
navigateurs. A cette époque il ne reste plus que les baroudeurs
ayant épousés la mer depuis de longues années. Aussi c'est
toujours un régal que d'entendre leur récits et aventures.
Au village, nous sommes très sollicités par les habitants. On
troque ainsi des cartouches de fusil contre du miel. Marco va réparer
le branchement d'un congélateur contre des bananes et fruits, chez
un autre une lampe torche, on échange des piles et toute sorte de
petites choses dont les gens ont besoin. Ayant réparé les
branchement électriques du congélateur, cela lui vaut le titre de
réparateur électricien, frigoriste, du coup son carnet de rendez
vous se remplit !!!
Le fait, que ce lieu soit fréquenté par le tourisme à une
certaine période de l'année a créé des envies et besoins qu'ils
n'avaient pas avant. Par exemple : c'est le seul village où les
enfants demandent des bonbons...
L'appel de la terre est fort, aussi chaque jour, nous partons
crapahuter dans ces lieux de splendeur et achevons la journée par un
bain dans les rivières ou cascades.
Etonnement, bien que nous soyons plus proche de l'équateur nous
avons moins chaud qu'aux Tuamotu. Le haut relief retient les nuages
et un courant d'eau frais circule dans ces mers, amenant ainsi une
température raisonnable de 25° à 28°c.
Nous avions craint que notre passager le gecko se soit fait
emporter par les flots lors de notre traversée, mais non, il est là,
tout aussi amaigris que nous, mais bien vivant ! Ses ventouses
ont dû lui sauver la vie, à moins qu'il n'ait trouvé refuge dans
un coin des toilettes proche de son garde manger : les fourmis.
( Elles nous accompagnent depuis Raïatéa).
L'Aranui, un cargo effectuant la livraison de marchandises entre
Papeete et les Marquises vient de débarquer au mouillage, avec 200
passagers à bord. Depuis quelques années l'Aranui propose une sorte
de croisière découverte des différents archipels, tout en
transportant matériaux et nourritures.
L'arrivée de ces touristes met le village en ébullition, des
stands de sculptures sont installés sur les quai, des danses leur
sont offertes. Tout ce petit monde ( constitué principalement de
personnes âgées) découvre le temps d'une journée un lieu
différent avec quelques animations proposées à chaque escale.
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